DICTIONNAIRE DE DROIT CRIMINEL
- Professeur Jean-Paul DOUCET -
Lettre E
(Huitième partie)
ENVIE
Cf. Complicité*, Convoitise*, Mobile*, Péchés*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « La loi pénale » (4e éd.), n° I-2, p.124 / n° I-122, p.175
Voir : Jean-Paul Doucet, « Le jugement pénal » (3e éd.), n° I-III-II-2, p.303
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Personne humaine » (4e éd.), n° I-312, p.164
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Société », n° I-2, p.146
- Notion. L’envie, incluse dans la liste des sept péchés capitaux, est considérée comme le plus grave des vices par certains moralistes (à mon sens, ce serait plutôt l'orgueil qui constituerait le vice majeur). Elle se présente sous diverses formes : cupidité, avidité, convoitise...
Aristote (Éthique de Nicomaque) : L'envieux s’afflige de tous les succès d’autrui.
Règle de St Benoît (Chap. 4 - Quels sont les instruments pour bien agir ?). N° 67 : Ne pas agir par envie.
St Thomas d'Aquin (Somme théologique) : Alors que la charité se réjouit du bien du prochain, l'envie s'en attriste. Il est donc clair que l'envie, par son genre, est péché mortel.
Bruguès (Dictionnaire de morale) : L’envie désigne la rancœur éprouvée devant le bien d’autrui et le désir de se l’approprier.
John Rawls (Théorie de la justice, n° 80) : L'envie proprement dite est une forme de rancœur qui tend à nuire à la fois à son objet et à son sujet. C'est ce que peut devenir l'envie émulative dans certaines conditions de défaite et d'échec... Il faut dire de plus que l'envie n'est pas un sentiment moral.
B.Flornoy (L’aventure Inca) rapporte cette sentence de Pachacutec : L’envie est un ver qui ronge les entrailles des hommes.
- Science criminelle. L'envie apparaît une notion imprécise, qui relève au surplus du for interne. C'est pourquoi le législateur ne saurait la traiter de manière générale comme objet d'une incrimination pénale ; seules ses principales manifestations (notamment la Calomnie*, le Meurtre* et le Vol*) constituent un crime ou un délit. En tant que Mobile* d’une action délictueuse, l’envie tire la sanction judiciaire vers le haut.
Casagrande et Vecchio (Histoire des péchés capitaux) : L’envie de Caïn envers Abel, le préféré de Dieu, fut la cause du premier homicide.
Tarde (La philosophie pénale) : Par sa préoccupation de l’effet qu’il produit sur autrui, par l’envie et la haine même qu’il porte à autrui, on sent bien que le criminel est en rapport social avec les autres hommes.
Le Bon (Psychologie des foules) : Dans les foules, l'imbécile, l'ignorant et l'envieux sont libérés du sentiment de leur nullité et de leur impuissance, que remplace la notion d'une force brutale, passagère, mais immense.
Proal (La criminalité politique) Chapitre 3 - L'anarchie : L'histoire des révolutions jette sur les vilains côtés du cœur humain des clartés effrayantes. C'est l'envie, le désir du nivellement qui est la passion dominante du révolutionnaire.
ENVIRONNEMENT - Voir : Animaux*, Écologie*, Nature*.
ENVOÛTEMENT - Voir : Infractions pénales -infraction impossible*, Maléfice*, Sorcellerie*.
ÉPAVES - Voir : Naufrageurs*.
ÉPICES
Cf. Corruption*, Impartialité*, Juge*, Vénalité*.
Dans l'Ancien droit français, « les épices » étaient les droits qui revenaient aux juges pour avoir instruit et jugé certains procès (en raison de la pratique de la Vénalité* des offices). L’ordonnance criminelle de 1670 limita leur domaine pour favoriser l’instruction et l’indemnisation des victimes. Le fait d’exiger des droits indus entraînait des poursuites pour Concussion*.
Linguet (Annales politiques et civiles, XVIIIe). Charles VIII permit aux greffiers de taxer le public. Quand on vit un homme de robe rendre impunément la main, les ordres supérieurs de cette même robe cessèrent de trouver ce geste malhonnête. On reçut des confitures, de l’hypocras, des épices. Bientôt ces friandises se convertirent en argent, qui est propre à tout. Mais pour déguiser l’infraction, pour se mentir un peu à soi-même, on continua d’appeler épices les pièces d’or que l’on mettait dans sa bourse.
Le Brun de la Rochette (Le procès criminel, 1629) : La concussion est née de la vénalité des offices, où l’on pèse plutôt la bourse de l’acheteur que son savoir, sa probité et son entendement. Joint l’ambition et l’avarice, qui les persuadent après de vendre au détail ce qu’ils ont acheté en gros.
Jousse (Traité de la justice criminelle) : Les juges ne peuvent prendre aucunes épices pour les permissions d’informer.
L’expression peut prendre un sens intemporel si on y voit le fait pour un magistrat ou un fonctionnaire d’accepter des avantages en nature de personnes qu’ils ont charge d’administrer ou de juger.
Serpillon (Code criminel, 1767) : Par arrêt du Parlement de Dijon du 31 juillet 1754, la Cour fait défense au sieur Bonamour, juge et prévôt de Buxy, de boire et manger avec les parties qui ont des procès dans sa juridiction, et pour lesquels il instruit une procédure.
ÉPIDÉMIE
Cf. Épizootie*, Précaution (principe de)*, Quarantaine*, Santé publique*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Société », n° II-II-257, p.559
- Notion. Une épidémie est une maladie contagieuse qui touche simultanément un grand nombre d’êtres humains, par accès et dans une région donnée (l’endémie au contraire présente un caractère permanent). On dit que, en 1347-1348, une épidémie de peste bubonique fit à Venise près de 60.000 morts, soit les trois cinquièmes de la population !
Dictionnaire Larousse. Épidémie - propagation subite et rapide d'une maladie infectieuse, par contagion à un grand nombre de personnes d'une région.
Exemple (Télétexte 1er novembre 2003) : La paquebot Aurora, dont 400 passagers souffrent d’une gastro-entérite virale, n’a pas été autorisé à accoster au Pirée. Il a été placé en mouillage dans la rade de Flisvos.
- Science criminelle. La lutte contre les épidémies peut présenter un caractère préventif (p.ex. avec la mise en quarantaine), ou un caractère répressif avec l’incrimination de la propagation d’une maladie donnée (soit de manière intentionnelle, soit par insouciance).
Bluntschli (Droit public général) : En temps d’épidémie, la police met les malades en quarantaine et leur prodigue des soins.
Merlin (Répertoire de jurisprudence, 1827) V° Quarantaine : On appelle ainsi le séjour que ceux qui viennent du Levant ou de tout autre pays infecté ou soupçonné de contagion sont obligés de faire dans un lieu séparé de la ville où ils arrivent. On prend cette précaution pour éviter que les équipages ou passagers ne rapportent d’Orient l’air des maladies contagieuses et pestilentielles qui y sont fort fréquentes. [la sanction pour violation de quarantaine allait alors jusqu’à la peine de mort]
Code pénal de Chine. Art. 332 : Celui qui viole les règles de la quarantaine, causant une extension de la contagion … doit être condamné à trois ans d’emprisonnement au plus.
Code pénal roumain de 1968. Art. 161 : L’attentat contre une collectivité par provocation d’épidémie … est puni de la peine de mort
Exemple (Le Figaro, 7 mai 1904) : Cinq bulgares et un palestinien ont été condamnés à mort hier par un tribunal libyen. Ils ont été reconnus coupables d’avoir propagé l’épidémie de sida dans un hôpital pédiatrique, causant la mort de 46 enfants.
- Droit positif français. La protection ordinaire est assurée par les art. 5 et s. du Code de la santé publique, qui visent par exemple la fermeture d’établissements ou l’isolement de personnes (l’ancienne quarantaine). Une loi du 9 juin 1972 vise les armes biologiques susceptibles de déclencher une épidémie ; ainsi son article 1er interdit la mise au point, la fabrication, la détention, le stockage… d’agents micro-biologiques, des autres agents biologiques et des toxines biologiques.
Conseil d’État 25 novembre 1994 (Gaz.Pal. 1995 I Panor. 80) : Des denrées alimentaires vendues par une boucherie-charcuterie comportant des souches épidémiques de listériose, épidémie largement répandue à l’époque, il y avait urgence pour le préfet à prendre, dans l’intérêt de la santé publique, une mesure destinée à éviter la contamination des consommateurs. Cette mesure pouvait consister en la fermeture provisoire de l’établissement, dès lors qu’aucune autre mesure moins contraignante ne paraissait efficace.
ÉPILEPSIE
Cf. Causes de non-imputabilité*, Démence*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « Le jugement pénal » (3e éd.), n° I-I-I-319, p.84 / n° I-II-II-212 p.242-243
Pour un exemple d’épilepsie au volant, voir cas pratique n° 12.
- Notion. L’épilepsie apparaît comme un désordre dans le fonctionnement des neurones à l’intérieur du cortex cérébral. Elle peut prendre des formes différentes ; mais, pour le pénaliste, elle présente la particularité de provoquer, tantôt des pertes de connaissance, tantôt des convulsions, les deux pouvant présenter des dangers pour autrui.
Vidal et Magnol (Cours de droit criminel) : L’épilepsie se manifeste par des crises convulsives avec perte de la conscience et du souvenir. L’irresponsabilité n’est pas douteuse pendant ces crises ; elle peut exister aussi à l’approche des accès qui sont précédés d’une période préparatoire crépusculaire.
Proal (Le crime et la peine) : Que l’épilepsie conduise souvent au crime, cela n’est pas douteux et est depuis longtemps enseigné par les aliénistes.
- Régime juridique. Il faut distinguer ici entre les infractions de pur droit pénal, supposant un Dol général* au moment des faits, et les infractions d’Imprudence* qui reposent sur une faute pouvant avoir lieu, soit avant, soit pendant les événements.
- Pour les infractions de pur droit pénal. Lorsque l’affection est constatable, lors des faits, par les témoins de la scène, un acte dommageable accompli au cours d’une crise d’épilepsie ne comporte pas d’Élément moral*, et ne saurait dès lors constituer une Infraction*. Si l’état de trouble psychique n’a pu être observé qu’ultérieurement, par la voie d’une expertise psychiatrique, il y a bien eu infraction pénale ; cependant celle-ci est couverte par une Cause de non-imputabilité*.
Levasseur (Rev.sc.crim. 1971 119) : Pour l’accident de la circulation causé au cours d’une crise d’épilepsie, l’opinion générale est que l’auteur ne peut être poursuivi sous la qualification d’infraction intentionnelle car l’élément moral d’une telle infraction fait défaut… Par contre, la qualification d’homicide ou de blessures involontaires pourrait être retenue si l’intéressé était conscient de son état et pouvait prévoir les actes dommageables auxquels cet état pouvait le conduire.
- Pour les infractions d’imprudence. Si l’auteur du fait dommageable savait qu’il était sujet à des crises d’épilepsie, et qu’il s’est néanmoins livré à une activité dangereuse pour autrui, il a commis une faute d’Imprudence* dont il doit éventuellement répondre au pénal. Dans le cas contraire, seule une responsabilité civile peut être envisagée.
Paris 27 mai 1970 (Gaz.Pal. 1970 II somm. 37). Sommaire : Homicide et blessure par imprudence – éléments constitutifs du délit – faute – conducteur sujet à des crises d’épilepsie – connaissance par l’intéressé – délit établi. Suit le décompte des dommages-intérêts.
En toute hypothèse, il est souhaitable que le tribunal répressif ait le pouvoir d'ordonner que le malade suive un traitement adapté à son état.
Code pénal suisse. Art. 85 : L’autorité de jugement ordonnera le traitement spécial que l’état de l’enfant exige, notamment en cas de maladie mentale, de faiblesse d’esprit, de cécité, de grave altération des facultés d’audition et d’élocution, d’épilepsie, de troubles ou de retard anormal dans le développement mental ou moral.
ÉPIZOOTIE
Cf. Animaux*, Épidémie*, Santé publique*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Société », n° II-II-257, p.560
L’épizootie est une maladie contagieuse touchant des animaux. Celui qui contribue à l’extension d’une telle maladie tombe sous de coup de dispositions spécifiques du Code rural. Son art. L.228-3 al.1 incrimine la propagation volontaire d’une épizootie ; l’art. L.228-3 al.2 vise la propagation involontaire (on pense ici au développement de la myxomatose). À titre préventif, on a recours à la mise en quarantaine pour les animaux venant de pays étrangers.
Riché (La vie quotidienne dans l'empire carolingien) : Les épizooties sont signalées par les Annalistes comme des catastrophes aussi graves que les épidémies. Les moines recopient des traités d'art vétérinaire.
Cass.crim. 7 janvier 1998 (Bull.crim. n°4 p.9), sommaire : L’éleveur qui ne respecte pas les conditions sanitaires imposées par la réglementation, notamment s’abstient de procéder au dépistage de la tuberculose bovine, et dont une bête atteinte de cette maladie contamine un troupeau voisin se rend coupable du délit…
Code pénal de Saint-Marin de 1865. Art.
550-19° : Constitue une contravention … le fait de ne pas abattre, au premier symptôme de rage, immédiatement, un chien ou une bête enragée dont
on est détenteur.
Art. 550-19 : … le fait de ne pas prévenir immédiatement l’autorité publique qu’une maladie contagieuse a atteint une ou plusieurs bêtes du
bétail que l’on détient.
Exemple (Le télégramme 22 octobre 2005) : Un perroquet, mort en Grande-Bretagne où il avait été placé en quarantaine, a été diagnostiqué comme victime de la grippe aviaire.
ÉPOUX - Voir : Mariage*.
Voir :
Jean-Paul
Doucet, « La protection de la Famille, des enfants et des
adolescents » :
- n° 204 et s., p.82 et s. (sur les devoirs respectifs des époux
et leurs sanctions)
- n° 220 et s., p.107 et s. (sur l'homicide de son conjoint)
- n° 222 et s., p.109 et s. (sur les coups et blessures entre
époux)
ÉQUIPOLLENT (Équipollence)
L’adjectif équipollent est pratiquement synonyme de "équivalent" dans le vocabulaire juridique. Terme de l'Ancien droit, il était surtout employé dans l'expression "la faute lourde est équipollente au dol" (culpa lata dolo aequiparatur).
Domat (Les quatre livres du droit public) : Les notaires ne sont garants des actes de leur ministère que pour dol personnel, faute grave ou erreur grossière, équipollente au dol .
Lalou (Traité de la responsabilité civile) : L'équipollence de la faute lourde au dol n'est plus admise en principe .
Trébutien (Cours élémentaire de droit pénal) : La détention préventive n'est pas obligatoire ; on peut en dispenser, la faire cesser, ou la remplacer par des équipollents : par exemple, par un cautionnement sous le bénéfice duquel on aura la liberté...
Chauveau Hélie (Théorie du Code pénal T.I) : Si les termes de la loi ne sont pas sacramentels, ils doivent du moins être remplacés par des termes équipollents ; leur suppression enlève au crime l'un de ses principaux éléments.
Cass.crim. 23 juillet 1984 (Gaz.Pal. 1985 I Panor.159) : Aux termes de l'art. 19 al. 1er de la loi du 10 mars 1927, en cas d'urgence et sur la demande directe des autorités judiciaires du pays requérant, les Procureurs de la République peuvent, sur un simple avis transmis soit par la poste, soit par tout mode de transmission plus rapide laissant une trace écrite, ou matériellement équipollente, de l'existence d'une des pièces indiquées par l'art. 9, ordonner l'arrestation provisoire de l'étranger…
Cass.com. 14 mars 1995 (Gaz.Pal. 198 I Panor.157) : En vertu de l'art. L 321-4 C. aviation., pour l'application de l'art. 25 de la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929, la faute considérée comme équipollente au dol est la faute inexcusable, et est inexcusable la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable.
ÉQUITÉ
Cf. Clémence*, Corruption*, Droit naturel*, Iniquité*, Injustice*, Justice*, Légalité*, Légitimité*, Loi du plus fort*, Morale*, Prise d’intérêt*, Procès équitable*, Trafic d’influence*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « La loi pénale » (4e éd.), n° 17, p. 33 / n° 20, p.38 / Voir Table des matières
Voir : Jean-Paul Doucet, « Le jugement pénal » (3e éd.), n I- I-II-1, p.121 (note 1) / n° I-I-II-2, p.122 / n° I-II-I-319, p.200 / n° I-III-I-315, p.289 / n° II-304, p.368
Voir : Aristote, La justice (Chapitre X)
Voir, pour un exemple de jugement en équité : Un cas indiscutable de prestation impossible
- Notion. Pour un juge, statuer en équité consiste à trancher un point litigieux en s’appuyant sur des principes moraux plutôt que sur des règles juridiques.
Dictionnaire Larousse de synonymes : "Droiture" désigne la qualité morale de ce qui ne s'écarte pas de la ligne du devoir. "Équité" a quelque chose de plus doux, de moins inflexible que droiture ; c'est la disposition naturelle, intime, à faire à chacun part égale, à traiter les autres comme égaux entre eux, sans faire de passe-droits.
Vergely (Dico de la philosophie) : Les hommes n’ont pas tous les mêmes mérites. Alors que certains sont travailleurs et généreux, d’autres sont paresseux et égoïstes. Il serait, de ce fait, injuste d’attribuer à chacun la même récompense. L’équité s’efforce de rendre à chacun ce qui lui revient en fonction de ses mérites.
Exemple (Cour EDH 3 octobre 2013, n°12430/11) dans une espèce où un individu avait été placé en détention provisoire pour enlèvement, séquestration en vue d'obtenir une rançon, violences en réunion avec arme, viol et tentative de viol, mais où la Cour estime que cette détention provisoire était entachée d'une durée excessive : Statuant en équité, comme le veut l'article 71 de la Convention, la Cour considère qu'il y a lieu d'octroyer au requérant 8.000 € au titre du préjudice moral .
- Règle morale. Les philosophes observent que les règles de droit ne doivent pas être appliquées aveuglément, mais dans un esprit d'humanité et de charité.
Confucius (Lun Yu) : L'homme supérieur fait de l'équité et de la justice la base de toutes ses actions. [observez que l'équité est citée avant la justice]
Sériaux (Droit canonique) : Il est de principe dans le droit canonique que les lois doivent être appliquées avec équité, c’est-à-dire en corrigeant ce que, dans un cas particulier, elles pourraient avoir d’excessif.
Jolivet (Traité de philosophie, La morale) : Le devoir d’équité, fondé sur la charité et l’humanité, tend en général à faire accomplir la loi dans son esprit et selon les intentions du législateur, par delà la lettre de la loi et parfois même contre la loi. L’équité corrige constamment les effets d’une conception littéraliste des droits et des devoirs, et s’oppose directement au formalisme qui ne retient que la matérialité au détriment de l’esprit.
- Science criminelle. Le recours à l'équité n’a rien de condamnable en soi si l’on songe que la loi a été édictée, avant les faits de l’espèce, de manière générale, abstraite et impersonnelle, et qu’elle risque dès lors de ne pas être adaptée au cas présent.
Alland et Rials (Dictionnaire de la culture juridique). V° Équité, par Jarrosson et Testu : L'équité a toujours embarrassé les juristes en raison de la difficulté qu'ils ont éprouvée pour la définir de manière univoque et pour la situer précisément par rapport au droit... L'utilisation de l'équité affecte la manière de dire le droit, en allégeant les formalités ou les exigences de preuve, en fondant la découverte par le juge d'obligations implicites, ou de tempéraments à la règle.
Ahrens (Cours de droit naturel) : Il peut arriver qu'une loi positive spéciale ne soit pas bien adaptée à tous les rapports qu'elle est appelée à régler ; ce désaccord doit être levé par le principe de l'équité, par laquelle une loi est appliqué autant que possible, eu égard à l'individualité du cas, selon tous ses rapports et circonstances.
Höffe (Dictionnaire d’éthique) : L’application d’une règle de droit générale peut, dans certains cas singuliers, aboutir à des injustices. Alors le principe d’équité exige que l’on s’écarte de la loi en vigueur. Non que l’idée de droit et de justice soit suspendue : c’est au contraire en vue de plus de justice que doit intervenir l’équité.
Cadiet et Loquin (Dictionnaire de la Justice) v° Équité : La notion d'équité paraît être au juge ce qu'est la boussole au navigateur. Et pourtant les relations entre l'équité et le juge sont ambiguës. L'utilisation de l'équité par le juge est source de crainte. L'équité est alors associée au risque d'arbitraire... Le jugement selon l'équité peut en effet être défini comme un jugement affranchi des règles du droit, qui donne une solution particulière pour chaque cas d'espèce.
Servant (Discours sur l’administration de la justice criminelle) : On parle souvent de l’équité du magistrat, et c’est peut-être la moindre de ses vertus ; c’est du moins celle qui doit paraître après toutes les autres ; c’est une ressource quand il n’en reste plus d’autre.
Lois de Manou : Lorsqu'un roi, réprimant les voluptés et la colère, examine les causes avec équité, les peuples s'empressent vers lui, comme les rivières se précipitent vers l'Océan.
Digeste de Justinien, 47, X, 17, 5. Ulpien : Lorsque le préteur dit « à l'arbitrage du juge », cela signifie à l'estimation de l'équité.
Code pénal de Moldavie. Art. 75 : La personne reconnue coupable d’avoir commis une infraction sera punie d’une peine équitable, dans les limites fixées par la partie spéciale, et en stricte conformité avec les dispositions de la partie générale du présent Code. Le juge prononcera la peine et en fixera durée en fonction de la gravité de l’infraction commise, des mobiles, de la personnalité du condamné, des circonstances atténuantes ou aggravantes, de même que de l’effet de la peine sur la réintégration sociale du condamné et sur les conditions de vie de sa famille.
Code de procédure pénal espagnol. Son art. 60, visant le cas où le condamné souffre de troubles mentaux, autorise le Juge ou le Tribunal, pour des raisons d'équité, à... réduire la durée de la sanction, dans la mesure où l'accomplissement de la peine s'avère inutile ou contre-indiqué.
À placer ainsi l'équité en second plan, on risque de voir un malfaiteur connaissant bien la loi pénale chercher à se faufiler entre deux incriminations légales, dans l'espoir de commettre en toute impunité une entorse à la règle morale.
Digeste de Justinien, 47, IV,1 pr. - Ulpien (dans le cas d'une atteinte aux biens de son maître décédé par un esclave qui va être affranchi) : Cette action liée au fait est en soi d’équité, plutôt naturelle que civile, puisqu'elle est donnée à défaut d'action civile. Mais il est équitable que cet individu ne reste pas impuni, lui qui, espérant l'être, en est devenu plus audacieux ; parce qu'il s'imagine qu'il ne peut pas être puni comme un esclave dans l'espérance d'une liberté prochaine, ni condamné comme un homme libre, parce qu'il a fait un vol à l'hérédité... C'est pourquoi le préteur a cru qu'il était utile que la ruse et l'audace de ceux qui spolient des successions fussent punis par l'action au double.
Mais le recours systématique à l'équité porte atteinte à la sécurité juridique, puisqu’il aboutit à rendre les décisions judiciaires imprévisibles. On a beaucoup reproché aux Parlements de notre Ancien droit de statuer parfois en équité (« Dieu nous garde de l’équité des Parlements »), pour cette simple raison que l’équité conduit à l’arbitraire. C’est pourquoi la Révolution a posé en principe que les juges répressifs doivent normalement statuer en droit, et non en équité.
Schopenhauer (Le fondement de la morale) : L'équité est l'ennemie de la justice, et souvent lui fait grand tort.
Timbal (Histoire du droit) : On parle de jugement en équité lorsqu’aucune règle juridique positive ne permet de régler un litige et que la juridiction saisie décide de que commande l’équité… Les Cours souveraines de l’Ancien régime allaient beaucoup plus loin : elles prétendaient avoir le droit d’écarter la loi positive, ou la coutume, pour faire triompher l’équité. Cette initiative, d’abord utile, devint vite dangereuses parce qu’elle exposait les justiciables aux incertitudes et aux surprises. On comprend que cette prérogative fut supprimée par l’Ordonnance civile de 1667.
Ortolan (Éléments de droit pénal) : Le sentiment d’équité, qui marche sans gouvernail, oscille en des voies multiples suivant des appréciations variables.
Merlin (Répertoire de jurisprudence, 1827) : Le mot équité signifie la justice exercée, non pas selon la rigueur de la loi, mais avec une modération et un adoucissement raisonnables … Il est bien certain que ceux qui font une étude approfondie du droit de l’équité ont des notions plus fines et plus délicates du juste et de l’injuste, que ceux qui n’étudient et ne savent que la loi. On peut même dire que la loi serait inutile aux hommes, si chaque individu avait dans le cœur l’amour de l’équité … Mais qu’est-ce que l’équité dans l’opinion de la plupart des hommes ? C’est souvent quelque chose de fort arbitraire ; ce qui paraît juste à l’un, paraît injuste à l’autre … Sans la loi, l’équité n’est fort souvent qu’un nuage très obscur … Si les juges pouvaient s’écarter de la loi sous prétexte d’équité, la loi n’aurait plus rien de certain et les citoyens croiraient en vain agir avec solidité à l’ombre de ses dispositions.
Warée (Curiosités judiciaires) :Lorsque le Dauphiné fut annexé à la Couronne, les députés de cette province vinrent demander au roi qu’il fût défendu à leurs juges de les juger suivant l’équité.
Si le recours à l'équité est (en théorie) exclu sur le terrain du prononcé des sanctions pénales, il subsiste sur le plan de l'évaluation des dommages-intérêts civils (surtout quant au préjudice moral).
Cour EDH 23 février 2012 (Gaz.Pal. 15 mars 2012, p.31) : Au titre de la satisfaction équitable (art. 41) la Cour dit que la Roumanie doit verser au requérant 8.000 € pour dommage moral.
- Droit positif français. Quant au fond. En raison du principe de légalité, nos tribunaux ne doivent recourir à l’équité qu’après avoir procédé à une étude approfondie des faits, et ce au regard de la loi en vigueur. Il leur faut toujours s’efforcer d’appliquer loyalement la loi, avant de décider qu’elle se heurte présentement à une exception appelant un jugement en équité.
Cass. 2e civ. 22 avril 1992 (Gaz.Pal. 1992 II panor. 307) : Le juge doit trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et ne peut se borner à une simple référence à l’équité.
Paris 5 février 1991 (Gaz.Pal. 1992 I somm. 222) : La suspicion ainsi jetée sur la Compagnie d'assurances est de nature à lui causer un préjudice dont il sera fait équitable réparation en condamnant les journalistes à lui payer une somme de 40 000 F de dommages-intérêts.
Trib.pol. Bayonne 16 février 2005 (Gaz.Pal. 26 mai 2005) : Le juge de proximité ne saurait être juge du droit sans être juge de l’équité.
Quant à la procédure. La Convention EDH a employé le terme équité dans un sens différent. Elle exige que les procédures soient menées « équitablement » (art. 6. 1), c’est-à-dire en assurant un juste équilibre entre l’accusation et la défense et en interdisant les procédés déloyaux.
Cass.crim. 5 mars 1986 (Bull.crim. n° 92 p.226) : Il appartient au président qui, en vertu de son pouvoir de direction des débats, a le devoir de rejeter tout ce qui tendrait à compromettre leur dignité, de s’opposer à des pratiques qui pourraient nuire à l’équité du procès.
Cass.crim. 21 mai 1997 (Gaz.Pal. 1997 II Chr.crim. 177) : Le principe de l’égalité des armes tel qu’il résulte de l’exigence d’un procès équitable, au sens de l’art. 6 de la Conv. EDH, impose que les parties au procès pénal disposent des mêmes droits.
ÉQUIVOQUE - UNIVOQUE
Cf. Acte préparatoire*, Ambiguïté*, Commencement d’exécution*, Doute*, Tentative*, Univoque*.
Voir : Jean-Paul Doucet, « La loi pénale » (4e éd.), n°135 p.112 / n° I-135 4° à 5°, p.196-197 / I-247, p.261
Voir : Jean-Paul Doucet, « Le jugement pénal » (3e éd.), n° I-I-I-341, p.107
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Personne humaine » (4e éd.), n° 18, p.16 / n° 35, p.29 / n° 40, p.35 / n° I-336, p.189-190 / n° II-223, p.326 / n° III-319 , p.379 / n° II-328, p.395 / n° II-335, p.412 (note 5) / n° III-209, p.487
Voir : Jean-Paul Doucet, « La protection de la Société », n° 26, p.26
- Notion. Un mot ou une phrase, un acte ou une parole, est univoque lorsqu’il ne peut avoir qu’un seul sens, lorsqu’il ne peut donner lieu qu’à une seule interprétation. Il est équivoque dans le cas contraire.
Cuvillier (Vocabulaire philosophique). Équivoque : caractère des termes ou des propositions qui peuvent s’entendre en deux ou plusieurs sens différents. L’équivoque des termes s’appelle ambiguïté ; celle des propositions amphibologie.
Delamare (Traité de la police, Paris 1722) : La Principauté et la Magistrature ayant été longtemps jointes ensemble, les Langues anciennes n’avaient point de mot propre et univoque pour signifier séparément l’une ou l’autre de ces deux puissances.
Pontas (Dictionnaire de cas de conscience) : On appelle équivoque un discours ambigu et à double entente, dont on use pour faire naître dans l'esprit de celui à qui on parle une idée différente de celle qu'on a soi-même.
Cass.crim. 21 mars 1984 (Bull.crim. n° 121 p.307) : Le mot préméditation, emprunté au langage courant, exprime par lui-même sans équivoque qu’un dessein a été formé avant l’action.
- Point de vue législatif. Pour respecter le principe de la légalité criminelle, qui implique en corollaire la précision du vocabulaire employé, le législateur ne devrait pas utiliser un terme ou une expression équivoque dans l’énoncé d’une loi ou d’un règlement.
Ordonnance criminelle de 1670 (Travaux préparatoires) : M. le Président Séguier a fait observer que le terme « eux » formait ici une équivoque. M. Pussort a reconnu qu’il le fallait ôter.
Rigaux et Trousse (Les crimes et les délits du Code pénal belge, T.I p.576) : Certains actes équivoques ont été réprimés par le Code pénal comme susceptibles d'être des actes préparatoires d'attentat contre le sûreté de l'État : ainsi l'exercice illégal d'un commandement militaire [mais alors le recours aux faits justificatifs est largement ouvert].
Agen 1er mars 1991 (D. 1992 somm. 70) : Si les diverses exceptions apportées au délit de l’art. 378 C.Pén. n’édictent pas des obligations de dénonciation à la charge des personnes concernées, elles ne définissent cependant pas de façon univoque l’autorité à laquelle la dénonciation peut être faite.
- Point de vue judiciaire. Du point de vue du fond, un acte équivoque (qui peut recevoir plusieurs interprétations), contrairement à un acte univoque (qui ne peut recevoir qu’une interprétation), ne saurait constituer l’élément matériel d’une infraction. Ainsi, même s'il paraît se situer dans un Cheminement criminel*, un acte humain ne constitue pas une Tentative* punissable tant qu’il ne révèle pas que l’agent avait l’intention d’aller jusqu’au terme de son entreprise.
Bergier (Principes de métaphysique et de morale) : Une cause peut être prochaine ou éloignée, première ou seconde, interne ou externe, univoque ou équivoque...
Trousse (Novelles de droit pénal belge) : La loi pénale a considéré l’acte préparatoire comme présentant un caractère équivoque.
Cass.crim. 19 octobre 1821 (S. 1821 I 397) : Les peines ne peuvent être établies par des expressions équivoques.
Du point de vue de la procédure, un élément de preuve qui présente un caractère équivoque ne saurait suffire à fonder une condamnation pénale.
Brillon (Dictionnaire des arrêts des Parlements, Paris 1727) : Il a été jugé par arrêt du Parlement de Paris, le 30 mars 1694, que des indices violents mais équivoques ne peuvent fonder quelque preuve contre un accusé.