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c - Les causes de non-imputabilité

a) Les causes externes de non-imputabilité

causes de non-imputabilité - causes externes - contrainte morale - nécessité que les menaces aient présenté un caractère irrésistible.

Cass.crim. 28 décembre 1900 (Gaz.Pal. 1901 I 131).

B... et autres.

Sur les deuxième et troisième moyens pris de la violation de l’art. 64 C.pén. et de l’art. 7 de la loi du 20 avril 1810, en ce que les faits constatés par l’arrêt attaqué ne sont pas suffisants pour constituer l’excuse de la force majeure admise en faveur des prévenus :

Attendu que l’arrêt constate que les défendeurs au pourvoi avaient commencé l’exploitation des 4.000 hectares de bois dont ils avaient fait l’acquisi­tion en mettant sur leurs chantiers deux cent cin­quante ouvriers italiens; que les contumax P... et A... avaient chassé ces ouvriers; qu’ils avaient arrêté dans la forêt et menacé l’un des inculpés; que ces bandits, redoutables par leurs instincts sanguinaires et leurs nombreux méfaits, plusieurs fois condamnés pour vol, violences, menaces de mort et assassinat, inspiraient une terreur si grande que le gérant du sieur D..., précédent propriétaire des bois, les ouvriers des prévenus eux-mêmes, leurs contremaîtres et leur comptable n’avaient pas hésité à quitter les lieux; que des fonctionnaires et même des auxiliaires de justice, entendus ou interpellés par le juge d’instruction de Corte, n’avaient pas osé révéler les faits parvenus à leur connaissance, l’autorité étant impuissante à protéger leur existence ;

Attendu que de ces constatations l’arrêt conclut que les prévenus se sont trouvés dans l’alternative de subir les conditions qui leur étaient imposées ou d’avoir à abandonner une exploitation dans ils avaient engagé des capitaux considérables, à redouter l’incendie de leurs propriétés et à exposer même leur personne, et déclare qu’on peut, dès lors, considérer qu’en accomplissant le recel de criminels qui leur est imputé ils ont été contraints par une force à laquelle ils n’ont pas pu résister ;

Mais attendu que, si la contrainte morale peut, comme la contrainte physique, exonérer l’auteur d’un crime ou d’un délit de toute responsabilité pénale, c’est à la condition qu’il n’ait pas été possible d’y résister; qu’une menace ne peut constituer la contrainte que prévoit l’art. 64 C.pén. qu’autant que le péril qu’elle fait craindre est imminent et qu’elle met celui qui en est l’objet dans la nécessité de commettre l’infraction ou de subir les violences dont il est menacé ;

Attendu que l’existence de cette nécessité n’est pas démontrée dans l’espèce; que l’arrêt n’établit pas, en effet, que les menaces dont les prévenus ont été l’objet aient été assez pressantes pour leur enlever toute liberté d’esprit, ni que les dangers auxquels ils se sont crus exposés aient été assez imminents pour ne leur laisser d’autre moyen de les éviter que de commettre l’acte délictueux qui leur était demandé; que, dès lors, les faits retenus par l’arrêt ne justifient pas l’excuse de la force majeure admise en faveur des prévenus;

Casse... et renvoie devant la Cour de Grenoble...

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Contrainte morale – poursuites du chef d’intelligence avec l’ennemi – prévenu ayant agi sous l’influence de menaces de mort – circonstance insuffisante pour excuser le crime commis.

Cass.crim. 20 avril 1934 (Gaz.Pal. 1934 II 49)

G...

La Cour,

Vu l’article 20 al.8 de la loi d’amnistie du 29 avril 1921, modifié par l’article 16 de la loi d’amnistie du 3 janvier 1925 et l’article 8 de celle du 28 décembre 1931, vu l’article 7 de la loi du 13 juillet 1933;

Vu la dépêche de M. le garde des Sceaux, ministre de la Justice, en date du 22 avril 1932;

Vu l’arrêt de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Lyon en date du 12 janvier 1933, ensemble les pièces de la procédure et les enquêtes préliminaires auxquelles il a été procédé;

Vu la requête de M. le procureur général près la Cour, en date du 3 mai 1933, tendant à la réformation de la décision du 1er Conseil de guerre de la place de Verdun, du 30 novembre 1914, qui a condamné G..., actuellement décédé, à cinq ans de travaux forcés, pour intelligence avec l’ennemi en temps de guerre;

Attendu qu’il résulte de l’instruction à laquelle il a été procédé en 1914 par le commissaire rapporteur près le 1er Conseil de guerre de la place de Verdun, ainsi que de l’information complémentaire ordonnée le 15 décembre 1932 par la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Lyon, que, le 26 septembre 1914, G..., qui était allé chercher ses vaches au pâturage, a été arrêté avec trois autres habitants de Ville-en-Woevre par une patrouille allemande qui avait préalablement tiré dans leur direction; que l’un des soldats ennemis proposa à G... d’aller voir à Ville-en-Woevre si des soldats français occupaient encore ce village, ajoutant que, si G... rapportait ce renseignement, ses trois compagnons seraient libérés et que, s’il ne revenait pas, ceux-ci seraient fusillés ou emmenés à Conflans; que G... ayant constaté qu’un détachement se trouvait encore dans ledit village et qu’une sentinelle était au pied du clocher, vint en informer la patrouille ennemie qui rendit la liberté aux otages; que, le lendemain, Ville-en-Woevre fut attaqué par l’ennemi et bombardé;

Attendu qu’à raison de ces faits, G... fut poursuivi devant le Conseil de guerre pour entretien d’intelligences avec l’ennemi, en lui procurant des renseignements susceptibles de nuire aux opérations de l’armée, crime prévu et puni par l’article 206 al.2 de l’ancien Code de justice militaire, alors en vigueur;

Attendu que vainement il a été et il est encore invoqué à la décharge de G... que celui-ci aurait agi sous l’empire d’une contrainte morale à laquelle il n’aurait pu résister;

Attendu que si la contrainte morale peut, comme la contrainte physique, exonérer l’auteur d’un crime ou d’un délit de toute responsabilité pénale, une menace ne peut constituer la contrainte prévue par l’article 64 du Code pénal que s’il a été impossible d’échapper au péril imminent qu’elle faisait naître, sans commettre d’infraction;

Attendu qu’il n’en a point été ainsi dans l’espèce, que G... n’était pas menacé lui-même au moment où il a commis l’acte criminel qui lui a été reproché; que la menace qui, à la vérité, pesait sur trois de ses concitoyens n’était pas assez pressante ni assez directe pour lui enlever toute liberté d’esprit et l’empêcher de mesurer les dangers plus graves auxquels il exposait la troupe française et le village occupé par elle, en accomplissant l’action coupable qui lui était demandée par l’ennemi; que, dès lors, c’est à bon droit que le Conseil de guerre a déclaré G... coupable du crime prévu et puni, par l’article 206 al.2 du Code de justice militaire de 1857 et l’a condamné, avec admission de circonstances atténuantes, à cinq ans de travaux forcés;

Par ces motifs, dit n’y avoir lieu à réformation.

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Causes de non-imputabilité - causes externes - agent d’exécution impérativement tenu à l’obéissance.

Cass.crim. 18 janvier 1902 (S. 1903 I 247)

El A...

Sur le moyen de cassation tiré de la violation des art. 1er, titre 5, de la loi du 22 août 1791... en ce que l’arrêt attaqué aurait, motif pris de l’absence d’intention coupable, relaxé El A... de la prévention d’importation de cinq sacs de café en fraude.

Attendu que l’arrêt constate, en fait, que l’arabe El A..., transporté en cours de peine, et chargé du service des embarcations de l’Administration pénitentiaire, est tenu à l’obéissance passive à l’égard des fonctionnaires ou employés de cette administration; qu’à la date du fait poursuivi, il avait reçu du second capitaine du Maroni, vapeur de ladite administration, l’ordre de recevoir, dans une des embarcations dont il est chargé, les deux matelots B... et E..., avec cinq sacs dont il pouvait ignorer le contenu, et que ceux-ci devaient transporter sur le littoral; qu’El A... était forcé d’obéir, toute observation de sa part devant entraîner pour lui une peine disciplinaire, et qu’il ne pouvait donc pas se soustraire à l’exécution de l’ordre reçu;

Attendu qu’il résulte de ces constatations souveraines, en fait, que, conscient ou non du caractère de l’acte qu’il accomplissait, le prévenu El A... se trouvait, en tout état de cause, au moment du fait incriminé, dans une contrainte exclusive de la responsabilité, aux termes de l’art. 64 C.pén., applicable en toute matière répressive;

D’où il suit que l’arrêt, fondé, non sur l’absence d’intention coupable. mais sur le moyen péremptoire pris de la force majeure, a pu, sans violer aucun des textes visés au moyen, prononcer la relaxe d’El A... ; ...

Rejette...

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Causes de non-imputabilité - subordination hiérarchique d’un salarié (non).

Cass.crim. 19 mars 1969 (Bull.crim. n° 123 p. 303)

R...

Sur le moyen de cassation pris de la violation des art. 488, 512, 593 C.pr.pén., des art. 1741, 1742, 1745 et s. C.gén. impôts, 59, 60, 64 et 65 C.pén., 7 de la loi du 20 avril 1810, défaut de réponse à des conclusions, défaut de motifs et manque de base légale...

Attendu qu’en déclarant R... complice des fraudes fiscales perpétrées par H..., la Cour d’appel a répondu aux conclusions du demandeur lesquelles énonçaient expressément « que R... ne contestait pas avoir participé matériellement à la fraude, mais prétendait qu’il lui était difficile d’agir à l’encontre des instructions données par H..., alors qu’il n’était qu’un simple directeur technique soumis à l’autorité de celui-ci, gérant de la société... »;

Qu’en effet ces énonciations caractérisent à elles seules tous les éléments de la complicité, aucune excuse légale ne pouvant être déduite des liens de subordination et de salariat invoqués par le prévenu...

Rejette...

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Causes de non-imputabilité - subordination hiérarchique d’un fonc­tionnaire (non).

Cass.crim. 22 mai 1959 (Bull.crim. n° 264 p.536)

B...  et autres.

Sur le moyen de cassation pris de la violation des art. 2 et 3 C.instr.crim., des art 51 et 74 C.pén., de l’art. 1382 C.civ., de l’art. 7 de la loi du 20 avril 1810...

Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué que, les 8 et 9 juin 1951, R... a remis au bureau de poste d’Auxerre 339 plis sous bande mobile, à destination de différents maires du département de l’Yonne, et dont chacun contenait une affiche protestant contre l’inéligibilité de certains anciens membres du Parlement français; que B..., préfet de l’Yonne, donna à C..., receveur principal des postes, l’ordre de retenir provisoirement ces plis « dans l’intérêt de la loi et de l’ordre public » et d’en différer la distribution, motif pris de ce que l’affichage des écrits qui s’y trouvaient inclus ne pouvait avoir lieu qu’en contravention aux lois en vigueur sur la propagande et l’affichage électoral; que l’ordre du préfet fut mis à exécution et que le receveur des postes retint la correspondance litigieuse jusqu’au 14 juin suivant, jour où fut ouverte au Parquet d’Auxerre une information judiciaire contre les distributeurs des affiches, pour infraction à la loi du 5 octobre 1946;

Attendu qu’en l’état des faits constatés, c’est à bon droit que la Cour d’appel a déclaré que, loin de consister en de simples fautes de service, les agissements des deux demandeurs réunissaient tous les éléments constitutifs du délit prévu par l’art. 187 C.pén., lequel punit le fonctionnaire qui a supprimé les correspondances postales ou en a retardé volontairement la transmission, quel qu’ait pu être son mobile et quand bien même il aurait agi dans le seul but de prévenir la consommation d’une infraction à la loi pénale;

Attendu d’autre part que la circonstance que les prévenus n’auraient fait que se conformer aux ordres de leurs supérieurs hiérarchiques, ainsi qu’il est allégué en l’espèce, ne saurait constituer ni un fait justificatif ni une excuse leur permettant d’échapper aux conséquences pénales et civiles de l’atteinte qu’ils ont personnellement portée à la sécurité des correspondances postales que le texte répressif susvisé a précisément voulu garantir;

D’où il suit qu’en déniant aux faits incriminés le caractère d’actes administratifs non détachables de la fonction et en condamnant les demandeurs à réparer personnellement le préjudice qui en était résulté pour les parties civiles, l’arrêt attaqué, loin d’avoir violé les articles visés au moyen, en a fait au contraire une exacte application...

Rejette...

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b) Les causes internes de non-imputabilité.

Contrainte morale interne - rapports avec l’état de nécessité.

Cette cause personnelle de non-imputabilité se confond parfois avec l’état de nécessité, circonstance réelle faisant obstacle à la qualification faute de trouble social causé par les faits. Voir l’affaire Dlle M...d ci-dessus

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causes de non-imputabilité - insuffisance ou suspension des facultés mentales - prévenue se faisant mettre en état d’hypnose - responsabilité engagée pour les infractions alors commises.

Trib.corr. Jonzac 26 mai 1898 (S. 1899 N 22)

Dame C...

Attendu que les faits reprochés à la femme C... ne sont pas matériellement contestés; qu’il est du reste prouvé, non seulement par les aveux de la prévenue, mais par les débats, qu’à Montendre, depuis plus de dix ans, elle n’a cessé de soigner des malades;

Attendu que son système de défense consiste a prétendre que, si elle n’ignore pas, lorsqu’elle est en état de veille, les actes auxquels elle se livre pendant le sommeil, du moins n’a-t-elle jamais donner de consultations à aucun malade sans être plongée dans le sommeil somnambulique qui anéantit sa volonté; que ce sommeil, eût-il été volontaire, n’en a pas moins été réel, et que, par suite, elle ne saurait être déclarée responsable;

Attendu que la réalité de la situation qu’elle allègue ne repose que sur des affirmations et des présomptions; mais que, résultant, sinon d’un rapport, tout au moins de l’appréciation d’une autorité médicale telle que le docteur P..., le tribunal peut l’admettre;

Mais attendu que ces actes accomplis pendant le sommeil ont précédés et suivis d’actes dont elle est pleinement responsable, et par lesquels elle a préparé l’accomplissement de ces actes inconscients et en a utilisé les produits; qu’ainsi, depuis plus de dix ans, elle se rend périodiquement, et à des jours déterminés à Montendre, afin d’y donner des consultations; qu’elle se procure un local pour y recevoir le public, se fait accompagner d’une bonne chargée d’écrire les ordonnances sous sa dictée, et de la réveiller au montent voulu; qu’elle répand partout des prospectus en vue d’augmenter sa clientèle; enfin, qu’elle perçoit le prix des consultations, et l’emploie même, s’il faut en croire les renseignements fournis par le maire de sa commune, avec une entente parfaite de l’économie domestique, puisqu’elle s’est enrichie à son métier et a pu acheter, depuis qu’elle s’y livre, une maison et des terres;

Attendu que ces actes successifs, dont quelques-uns sont conscients et les autres peut-être inconscients, forment un ensemble présentant un caractère d’indivisibilité constituant l’exercice de la médecine, et dans lequel la conscience a une part suffisante pour que la loi pénale puisse être appliquée;

Attendu, d’ailleurs, qu’elle reconnaît n’être munie d’aucun diplôme;

Attendu, dès lors, que l’épouse C... a contrevenu aux art. 16, 17 et 18 de la loi du 30 novembre 1892;

Par ces motifs; Déclare la nommée B..., femme C..., coupable d’avoir, à Montendre, depuis moins de trois ans, exercé illégalement la médecine;

La condamne...

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