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LES CONFLITS DE LOIS RÉPRESSIVES
DANS L’ESPACE

Extrait du « Cours de droit pénal général complémentaire »
du professeur G. Levasseur
( Cours donné en 1960, éd. « Les cours de droit » )
Reproduit ici avec l’autorisation de l’auteur

Le problème de la sphère d’application des lois dans l’espace se pose à partir du moment où il existe dans la cause un élément d’extranéité, c’est-à-dire lorsque l’auteur de l’infraction, ou bien le lieu de l’infraction, ou bien la victime de l’infraction, se trouve ne pas appartenir au même groupe national, de sorte que la loi de chacun de ces groupes différents peut avoir un titre à s’appliquer.

Les problèmes ainsi-soulevés sont assez proches de ceux qu’étudie le droit international privé ; ils présentent également un rapport étroit avec le droit international public du fait que différentes souverainetés sont intéressées au conflit…

LE PRINCIPE DE SOLUTION
DES CONFLITS DE LOIS PÉNALES DANS L’ESPACE

De même que la solution des conflits de lois pénales dans le temps est dominée par une grande règle, celle de la non-rétroactivité, de même solution des conflits de lois pénales dans l’espace est dominée par une règle fondamentale, celle de la territorialité des lois pénales. Qu’il s’agisse d’incrimination, de compétence, de procédure, d’exécution des peines, dans l’ensemble de ces domaines c’est la règle de territorialité qui prévaut, compte tenu cependant du fait que cette règle est tempérée par 1’entraide internationale et, notamment, la pratique de l’extradition. En principe c’est l’État sur le territoire duquel l’infraction a été commise qui juge cette infraction ; c’est la loi de cet État qui est applicable à la répression, et l’effet des décisions rendues se limite au territoire de l’État sur quel elles sont intervenues.

Mais on aurait pu songer à d’autres systèmes, et on en a, du reste, parfois pratiqué d’autres.

§ I - Les divers systèmes de solution concevables

A - Le système de la personnalité active

Dans ce système chacun voit réprimer les actes anti-sociaux qu’il a commis d’après sa loi personnelle, se voit juger par ses juridictions nationales, et porte partout les conséquences de la condamnation qu’il a subie.

a) Personnalité des lois

Chacun ne répond que des actes antisociaux incriminés par sa loi d’origine (généralement loi nationale, ou du domicile ou de la race). Ce système a été appliqué à l’époque des invasions barbares, avant que la féodalité n’en arrive au principe de la territorialité, Il l’a été également, jusqu’à une époque récente, dans les territoires coloniaux : il y avait, dans ces territoires, un statut pénal spécial aux indigènes et un statut pénal spécial aux Européens. On peut faire valoir en faveur d’un tel régime qu’il est mieux adapté à la personne du délinquant (à laquelle on accorde de nos jours une attention accrue dans l’organisation de la répression), que la gravité de ses actes est mesurée en fonction de la civilisation à laquelle il appartient, que les sanctions seront plus efficaces parce que mieux appropriées à la personnalité à réformer, et enfin que ce système est plus juste et plus fidèle au principe de la légalité parce que la loi personnelle est sans doute celle qui était la mieux connue du délinquant.

b) Personnalité des juridictions

Selon le système de la personnalité active, chaque délinquant est justiciable seulement des tribunaux de son pays. A l’appui de ce système de personnalité active des juridictions, on peut dire que sa personnalité (à laquelle on attache tant d’importance) y sera plus connue et par suite sa responsabilité plus exactement appréciée. Être jugé par un tribunal étranger expose toujours le délinquant à une manifestation de xénophobie qui altère l’impartialité de la justice.

C’est par un vestige de ce système que notre législation refuse d’extrader nos nationaux. On peut également en voir un vestige dans certaines règles de compétence relative ratione personae (jugement des mineurs délinquants par des tribunaux spéciaux, des délinquants militaires par les tribunaux des forces armées, etc…). C’est le système qui était appliqué autrefois dans les pays de capitulations (États du Levant, Extrême-Orient) où les nationaux français étaient jugés non par les juridictions locales mais par nos consuls dans ces pays.

c) Personnalité des décisions

Dans un système de personnalité active la sentence prononcée contre l’individu devrait le suivre et produire ses effets en quelque pays qu’il se rende. Elle devrait pouvoir être exécutée partout, entraîner partout les mêmes incapacités, etc... Lorsque l’individu était frappé dans son corps, la mutilation ou la marque 1’affligeaient où qu’il se rende.

B - Le système de la personnalité passive

Dans ce système la répression est organisée en fonction de la personnalité, non pas du délinquant, mais de la victime.

Là encore ce système personnaliste va conduire symétriquement à une personnalité passive des lois et à une personnalité passive des juridictions (mais non pas des décisions).

a) Personnalité des lois

La loi qui fournira l’incrimination et les peines sera la loi personnelle de la victime. On peut faire valoir à l’appui d’un tel système les arguments suivants : les règles répressives sont faites pour protéger les droits et les intérêts de la victime ; c’est seulement dans la mesure où le législateur estime que ces intérêts méritent protection qu’il façonne l’incrimination qu’il édicte. Il est fréquent qu’un législateur dose l’incrimination ou la répression en fonction de la personnalité de la victime (selon que celle-ci est âgée de moins de 15 ou de 18 ou de 21 ans, selon le lien de parenté qu’elle possède avec l’auteur, etc...) Un vestige atténué de ce système se relève dans le fait que certaines infractions ne peuvent être poursuivies que sur plainte de la victime.

Une application très nette en est faite aujourd’hui encore par la loi de 1924 sur la navigation aérienne (intégrée dans l’art. 8 .du décret du 30 novembre 1955 portant Code de la navigation aérienne et conduisant à l’application de la loi française au cas où un Français a été victime d’une infraction à bord d’un avion étranger).

b) Personnalité des juridictions

Le tribunal compétent pour juger l’infraction sera, dans ce système, celui du pays de la victime, dont on peut penser qu’il veillera avec plus de soin à la sauvegarde de ses intérêts.

Ce système était assez répandu autrefois. Dans les pays de capitulations, au cas d’infraction commise à l’encontre d’une Français, les tribunaux consulaires français, et eux seuls, devaient juger l’auteur de cette infraction, bien qu’il fût un national du pays de capitulations.

Par la suite, l’évolution de la situation politique et juridique (amélioration du fonctionnement judiciaire local) a fait substituer à ces juridictions consulaires, tout au moins pour certains litiges, des juridictions mixtes. Cela a été le cas en Égypte, où le régime des tribunaux mixtes, prévu à titre transitoire en vue de la suppression des capitulations, a pris fin en I949.

La personnalité des juridictions manifeste incontestablement une certaine défiance de la part des États envers les tribunaux étrangers et même, parfois, envers les lois du pays étranger. C’est pourquoi la suppression du régime des capitulations a été liée à une réforme, d’une part de la législation pénale et, d’autre part, de la procédure répressive, de l’organisation des juridictions, et de la formation des magistrats, dans les pays dont il s’agit.

Avant 1866, l’article 7 du Code d’instruction criminelle subordonnait la compétence des tribunaux français pour juger le crime commis par un Français à l’étranger, à la circonstance que la victime de ce crime ait été un Français. Aujourd’hui encore, la loi sur la navigation aérienne citée ci-dessus attribue compétence aux tribunaux français pour juger l’infraction commise à bord d’un avion étranger si la victime est un Français.

C - le système de la compétence universelle

Un troisième système a été parfois appliqué, c’est celui de la compétence universelle. Dans ce système, c’est le pays du lieu de l’arrestation qui a compétence pour juger toutes les infractions commises par l’individu. On fait valoir notamment, en faveur de ce système, qu’au fond, tout au moins pour les infractions les plus importantes, les lois pénales des pays civilisés n’ont entre elles que des différences peu importantes. Le coupable peut donc être jugé pratiquement partout et selon n’importe quelle loi, ce qui assure à la répression une meilleure efficacité.

A vrai, dire, il n’en est ainsi qu’autant que l’on peut faire pleinement confiance à la juridiction étrangère . D’autre part les différences de législation, même minimes, peuvent être gênantes, et le système demande, pour bien fonctionner, une législation uniforme. Aussi, le plus souvent, ce n’est qu’à partir du moment où une unification législative assez poussée a été réalisée sur des points limités, que la compétence universelle peut s’établir. Elle est généralement liée à la répression d’infractions qui ont fait l’objet de conventions internationales précises, signées par la plupart des pays. Il en est ainsi, par exemple, en matière de traite des femmes ou de trafic des stupéfiants.

D - Le système de la territorialité

On peut dire qu’il y a de longs siècles que le système  français est acquis à l’idée de territorialité, au moins dans les rapports avec les pays européens.

Le système de la territorialité entraîne, lui aussi, des conséquences qui se manifestent sur le plan du conflit des lois, sur celui du conflit de juridictions et sur celui du conflit d’autorités.

a) Territorialité des lois

A cet égard, on considère que tout individu présent sur un territoire est soumis aux lois de l’État qui administre ce territoire, et aux lois pénales en vigueur sur ce territoire. Le conflit des lois dans l’espace doit être résolu en faveur de la loi sur le territoire de laquelle l’infraction a été commise.

Sur le plan rationnel on peut faire valoir divers arguments en faveur de la territorialité des lois pénales.

Tout d’abord on peut dire que le trouble social ayant été causé sur tel territoire, il est bon que la répression intervienne, selon les lois de ce pays et avec les peines qu’elles prévoient. L’infraction doit être soumise à la loi territoriale parce que le trouble social sera apprécié d’une façon beaucoup plus adéquate en fonction de la loi locale. Remarquons d’ailleurs qu’en Droit international privé on admet de même que la réparation des quasi-délits civils doit être soumise à la loi territoriale, c’est-à-dire à la loi du pays sur le territoire duquel le quasi-délit a eu lieu.

Enfin, on fait valoir que la personne qui vient se placer sous l’autorité d’un État étranger le fait à ses risques. C’est à elle de s’informer des lois répressives qui y sont en vigueur, et l’on sait que, même sur le plan du Droit interne, l’individu qui est poursuivi pour avoir contrevenu à une réglementation préfectorale ou municipale ne peut pas prétendre qu’il ignorait cette réglementation : du fait qu’il vient exercer une certaine. activité dans ce secteur, il a pris certains risques. Cette solution peut être transposée sur le plan international ; et de même que l’intéressé est censé s’être informé du comportement qu’il pouvait avoir sans risques de poursuites, de même il doit être censé avoir fait confiance aux tribunaux de ce pays pour statuer sur les infractions qu’on pourrait lui reprocher.

b) Territorialité des juridictions

C’est aux tribunaux de l’État sur le territoire duquel l’infraction a été commise qu’il appartient de juger cette infraction.

La compétence du. judex loci delicti peut invoquer en sa faveur de nombreux arguments rationnels. Cette infraction sera mieux appréciée, ainsi que l’importance exacte du trouble social qu’elle a causé, par les tribunaux locaux (qui le feront d’ailleurs en appliquant leur procédure nationale). Puisque c’est l’opinion locale qui a été troublée, c’est elle qui doit recevoir une certaine satisfaction, dans la mesure où la peine doit avoir un effet rétributif. C’est sur la population locale qu’il s’agit également de faire ressentir l’effet d’intimidation, pour éviter que l’ordre public ne soit troublé à l’avenir par l’un quelconque des membres de cette population locale.

D’autre part, la preuve sera plus facilement rapportée devant les juridictions territoriales. C’est là, en effet, que l’on trouvera les traces de l’infraction, qu’on trouvera les témoins et tous les moyens qui, en général, permettent de parvenir à la manifestation de la vérité, ce qui est le but premier des poursuites et de la décision répressive. Il sera rempli de façon plus satisfaisante par le pays qui est, territorialement, celui où l’infraction e eu lieu.

Enfin - et peut-être surtout - la règle de la territorialité des juridictions manifeste de façon éclatante la souveraineté de l’État sur son territoire, et on comprend que les États qui sont venus récemment à l’indépendance aient désiré avant tout voir disparaître les tribunaux consulaires et les juridictions des capitulations, qui leur paraissaient une atteinte intolérable à leur souveraineté et leur donnaient un complexe d’infériorité.

c) Territorialité des actes et décisions

La solution territorialiste du conflit de lois dans l’espace conduit à décider que les décisions judiciaires n’ont d’effet et de valeur que sur le territoire du pays qui les a rendues ; les actes n’ont d’effet et de valeur que sur le territoire du pays où ils ont été accomplis. Un État n’a pas à s’immiscer dans la façon dont son voisin a rendu la justice. Attribuer un certain effet aux sentences pénales étrangères, ce serait limiter indirectement la liberté d’action de l’État qui consentirait à reconnaître un tel effet sur son territoire.

Nous l’avons dit, c’est le système de la territorialité qui est admis d’une façon très générale par notre droit pénal. Le lieu de commission de l’infraction permet de connaître en principe l’État dont les juridictions seront compétentes (solution du conflit de juridictions) et celui dont les lois fourniront l’incrimination et la peine (solution du conflit de lois), qui est d’ailleurs le même que le précédent.

Mais, pour mettre en oeuvre un tel système, il importe de résoudre certaines difficultés techniques.

§ II - Les éléments d’application de la règle de territorialité.

Nos lois françaises et nos tribunaux français seront compétents en principe lorsque l’infraction aura été commise sur le territoire français. Mais deux difficultés principales se présentent dans l’application de cette règle. Il faut d’une part préciser ce qu’il faut entendre par "territoire français", et d’autre part localiser exactement le point de l’espace où l’infraction a été commise.

A - Détermination du territoire français.

a) Le territoire métropolitain et les départements d’outre-mer

Le territoire français comprend tout d’abord le sol métropolitain et, éventuellement, les département d’ outre-mer qui sont, en principe, soumis à un régime répressif unitaire depuis l’extension des dispositions du Code pénal aux indigènes sur les territoires d’outre-mer. Partout où s’applique l’autorité de la France, on peut considérer que l’on est en territoire français, même si certaines parties du territoire ont un régime répressif qui n’est pas exactement le même que dans d’autres.

Une disposition du Code pénal paraît donner, à première vue, une définition très large du territoire, c’est l’article 75 (dernier-alinéa) relatif aux infractions contre la sûreté extérieure de l’État : "Sera assimilé au territoire français, au sens de la présente section, le territoire des pays sur lesquels s’exerce l’autorité de la France". Mais on remarquera, d’une part, qu’il ne s’agit que d’une assimilation, ce qui implique qu’il ne s’agit pas du territoire français lui-même et, d’autre part, que cela ne joue qu’au sujet des infractions contre la sûreté extérieure de l’État.

Tout le sol métropolitain ou d’outre-mer fait partie du territoire, y compris les ambassades étrangères qui ne constituent pas, sur le point qui nous occupe, des îlots dotés d’exterritorialité qui les ferait réputer territoire étranger. Les privilèges diplomatiques font que la police française ne pénètre dans l’ambassade que sur demande de l’agent diplomatique ; mais l’ambassade reste territoire français, les crimes qui y sont commis le sont en France et il n’est pas nécessaire d’employer la procédure d’exequatur pour obtenir la remise des criminels qui y sont réfugiées.

b) La mer territoriale

Le sol métropolitain et les départements qui font partie du territoire de la République ont, en quelque sorte, des prolongements.

D’une part, dans le sens horizontal, ils ont pour prolongement la mer territoriale : si des infractions sont commises dans la mer territoriale, elles doivent être réputées commises en territoire français. Mais jusqu’où s’étend la mer territoriale ? C’est une question extrêmement discutée en Droit international public, depuis longtemps et toujours actuelle. Elle a entraîné cependant peu de difficultés pratiques sur le plan du Droit pénal ; la limite de 3 milles marins est généralement admise.

Au contraire la haute mer ne fait pas partie du territoire.

c) L’espace aérien

D’autre part il y a un prolongement dans -le sens vertical, c’est l’espace aérien qui se trouve au-dessus du sol et qui fait partie du territoire entendu au sens large.

Effectivement, des infractions peuvent être commises dans cet espace aérien ; elles sont réputées commises en France. La loi du 3I mai I924 (art. 31) sur la navigation aérienne se range à cette opinion.

d) Les navires et aéronefs

La question des infractions commises dans l’air, en haute mer ou dans la mer territoriale se complique du fait qu’un régime spécial s’applique aux navires et aéronefs.

En effet, les navires battant pavillon français et les aéronefs immatriculés en France sont réputés des parcelles itinérantes du territoire français ; dès lors les infractions qui se commettent à bord de ces navires ou de ces aéronefs sont réputées commises en France. Mais la situation, si elle est claire lorsque le navire se trouve en haute mer, devient plus compliquée si le navire se trouve dans des eaux territoriales étrangères et, à plus forte raison, s’il se trouve dans la rade d’un port étranger.

Il résulte de tout cela des complications, dont nous aurons l’occasion de retrouver certaines en étudiant les problèmes de compétence. la question est réglée par un avis du. Conseil d’État du 20 novembre I806, en ce qui concerne les navires étrangers se trouvant dans les eaux françaises.

B - Localisation de l’infraction

Mais il faut également localiser l’infraction. Les agissements dont il s’agit ont-ils été commis en France ? Ont-ils été commis sur le .territoire français ainsi défini ?

On se heurte là à certaines difficultés pratiques. Elles proviennent d’abord de ce qu’il existe des infractions présentant une certaine complexité.

a) Difficultés tenant aux infractions complexes dans leurs éléments constitutifs.

- Pour les infractions continues, la solution est simple parce que, les infractions continues étant commises partout où l’individu a passé, l’état délictueux a pu se manifester sur différents territoires et, notamment, le territoire français. L’individu poursuivi pour port d’armes prohibées ou pour port illégal de décorations ne peut pas faire valoir qu’il a commencé à. porter ses décorations ou à porter son arme alors qu’il se trouvait sur le territoire étranger. Peu nous importe, étant donné qu’il s’agit d’une infraction continue dont tous les éléments se sont trouvés à un moment donné réunis en France (Pau, 25 septembre I948, JCP I948 2 4788).

- Plus embarrassant est le cas des infractions d’habitude, car il est alors nécessaire que plusieurs actes se soient trouvés réalisés sur le territoire français, pour qu’on puisse dire que l’infraction a été commise en France ; mais nous savons que la jurisprudence est assez rigoureuse, dans l’appréciation de l’habitude, vis-à-vis des délinquants, et qu’elle se contente de deux actes pour considérer que l’habitude est réalisée, de sorte que, dans la pratique, il sera généralement facile, si on est vraiment en présence d’un délinquant d’habitude, de relever une pluralité d’actes sur le territoire.

Au surplus plusieurs de ces infractions se situent dans le domaine des atteintes aux mœurs ; or l’art. 334-1 C.pén., relatif à ces infractions prévoit la répression en France de celles-ci "alors même que les divers actes qui sont les éléments constitutifs de l’infraction auraient été accomplis dans des pays différents". Cette règle peut d’ailleurs s’appliquer également à la catégorie suivante.

- Il y a également certaines infractions, qu’elles soient instantanées ou continues, dont l’élément matériel comporte une succession d’actes ; ces actes successifs ont pu alors être commis, les uns sur le territoire français, et d’autres sur un territoire étranger. Il faut, en bonne logique, pour que l’acte puisse être incriminé au nom de la loi française, qu’au moins l’élément matériel suffisant pour constituer une tentative ait été réalisé sur le territoire français. Les difficultés se présentent, par exemple, pour l’escroquerie, qui consiste à se faire remettre certaines choses ou certaines sommes à l’aide de manœuvres frauduleuses ou par la prise de fausses qualités, etc. Il peut arriver que les manœuvres frauduleuses et la remise de la chose n’aient pas lieu au même endroit. La jurisprudence se montre, là encore, assez rigoureuse à l’égard des délinquants : elle décide qu’il suffit que, soit les manœuvres, soit la remise, aient eu lieu en France pour que l’affaire soit de la compétence des tribunaux français et du ressort de la loi française. De même en matière d’émission de chèque sans provision, il suffit que le chèque ait été émis en France, ou qu’il ait été tiré sur une banque française. De même l’abus de confiance sera punissable en France si c’est là que la remise avait eu lieu aussi bien que si c’est le lieu du détournement.

En définitive, il suffit qu’une partie des éléments constitutifs aient eu lieu en France (il n’est même pas nécessaire que cette partie constitue un commencement d’exécution) pour que la répression se fasse par les tribunaux français et selon la loi française. Cette solution vient d’ailleurs d’être consacrée par l’article 693 du nouveau Code de procédure pénale ainsi conçu : "Est réputée commise sur le territoire de la République, toute infraction dont un acte caractérisant un de ses éléments constitutifs a été commis en France".

- Cette solution conduit à une application extensive de la compétence des tribunaux français et des lois françaises. Cette conception se trouve encore renforcée par le jeu de diverses institutions ou techniques du droit pénal français.

Ainsi, la règle de l’emprunt de criminalité, appliquée en matière de complicité, conduit à déférer à nos tribunaux et à juger selon nos lois les agissements commis à l’étranger s’ils constituent un acte de complicité se rapportant à une infraction principale commise en France. Inversement, nos tribunaux se déclaraient incompétents pour juger les actes commis en France lorsque ceux-ci constituaient un acte de complicité se rapportant à une infraction principale commise à l’étranger. Mais l’article 690 du nouveau Code de procédure pénale a rompu au profit de la loi et de la juridiction française cet équilibre logique, en décidant : "Quiconque s’est, sur le territoire de la République, rendu complice d’un crime ou d’un délit commis l’étranger, peut être poursuivi et jugé par les juridictions françaises si le fait est puni à la fois par la loi française et par la loi étrangère, à la condition que fait qualifié crime ou délit ait été constaté par une décision définitive de la juridiction étrangère".

De même, la jurisprudence invoque fréquemment, soit la connexité existant entre les divers faits (par exemple le recel commis à l’étranger d’objets provenant d’un vol accompli en France), soit l’indivisibilité, pour décider que des agissements répréhensibles ayant eu lieu sur le territoire étranger tombent néanmoins sous le coup de la loi française. (Crim. 6 janv. I872, D. 1872. I. I42 ; Crim. 18 décembre 1908, D. 1911. 5 11).

b) Difficulté tenant aux infractions complexes dans leurs effets.

Même lorsque l’élément matériel de l’infraction a consisté dans un acte unique, il est possible que cet acte s’étende sur plusieurs territoires et, notamment, qu’il ait produit des conséquences sur un autre territoire. On peut alors se demander quel est le lieu de l’infraction : est-ce celui où la faute a été commise, ou bien celui où le résultat anti-social s’est fait sentir ?

Les auteurs proposent de s’attacher, tantôt au lieu de l’action, tantôt à celui du but visé, tantôt, éventuellement, à celui du résultat produit (sur ces théories, voir Donnedieu de Vabres, Traité, n° 1635 ss.).

Le cas s’est présenté d’ailleurs assez fréquemment en pratique, au voisinage de certaines frontières terrestres assez artificielles ; lorsqu’il s’agit de menaces, d’outrages, de coups de feu tirés par-dessus les frontières : est-ce que l’infraction a été commise en France lorsque la victime se trouvait en France ? Est-ce qu’elle a été commise en France alors, au contraire, que la victime se trouvait à l’étranger, mais que l’auteur des coups de feu était en France ?

De même, pour le non-paiement de la pension alimentaire : faut-il considérer le lieu où se trouve le débiteur ou celui où se trouve le créancier ?

Il en est de même pour les infractions commises par la voie de la presse : l’infraction a-t-elle été commise dans le lieu où l’article a été écrit, dans celui où le journal a été publié, ou est-elle également commise dans les lieux où le journal est mis en vente ou distribué ? Sur ce point, la Cour de cassation n’a pas hésité à considérer que la diffamation pouvait être commise en France si elle est contenue dans un journal étranger qui se trouve vendu en France.

La solution de cette difficulté particulière semblerait être qu’il. faut rechercher exactement quel est l’agissement matériel incriminé et dans quelle mesure le résultat de l’infraction est pris en considération par le législateur dans la définition et la description qu’il donne de cet élément matériel.

Selon la formule utilisée par la loi, on sera amené à savoir quels sont les éléments constitutifs qui doivent s’être produits sur un territoire pour qu’on puisse dire qu’il est le lieu de l’infraction. Par exemple, pour les blessures ou homicides par imprudence, il semble que ce soient les résultats de l’agissement qui soient pris spécialement en considération.

En matière, précisément, d’homicide par imprudence une décision internationale a été rendue par la Cour permanente de justice internationale, le 7 septembre I927, dans la fameuse affaire du "Lotus" : la Cour permanente a admis que les tribunaux turcs étaient compétents, parce qu’à la suite d’un abordage qui s’était produit en haute mer entre un navire français et un navire turc, des victimes turques avaient succombé à bord du bâtiment turc. La Cour permanente de justice internationale a considéré que le dommage s’était produit à bord du navire turc, donc en territoire turc et que les tribunaux turcs étaient compétents. Ceci paraît également le sens de la solution qui semble se dégager du Droit français.

L’art. 693 du Code de procédure pénale, consacrant la jurisprudence antérieure, permet de soumettre à la juridiction et à la législation françaises, tout agissement caractérisant un des éléments constitutifs d’une infraction incriminée par la loi française. Mais il est évident que si les législations étrangères adoptent de leur côté le même point de vue, cette attitude est de nature à multiplier les conflits positifs de lois ou de juridiction.

Quoi qu’il en soit, le système français étant en principe celui de la territorialité de la répression, une fois l’infraction localisée comme il est dit ci-dessus, le principe en question va conduire à se référer à la loi locale pour connaître ses conditions d’incrimination et les peines applicables et à confier aux tribunaux locaux le jugement de ces agissements ; enfin les décisions que ceux-ci rendront n’auront pas, normalement, d’effets extra-territoriaux.

On observera d’ailleurs que, sur chacun de ces points, la règle de la territorialité reçoit de nombreuses dérogations et d’importants tempéraments.

Signe de fin